Le Génie du Bonheur
Et si un génie pouvait réaliser n’importe quel vœu, lequel choisiriez-vous ?
Réfléchissez bien, ce magicien qui vient de s’installer au quartier Mouffetard parisien ne peut réaliser qu’un seul souhait par personne, ni plus ni moins.
Quand Mélanie apprit la nouvelle, elle débuta une vaste introspection : Quel est son désir le plus cher ?
La promotion au rang de Directrice Générale au sein de sa multinationale de sodas hypersucrés ?
Le mariage d’amour éternel avec Augustin ?
L’assurance-santé qu’elle ne souffrirait d’aucune maladie mortelle ?
Ne parvenant à se décider, Amélie plongea dans ses antiques cours de philosophie où Aristote affirmait que le Désir de tous nos désirs, le But de tous nos buts, le Bien Souverain portait le nom de Bonheur.
Fort de cette croyance, elle rencontra le génie aux lunettes violettes et à la moustache Daliesque qui se cachait dans un bar à boules de cristal. Ce dernier lui offrit avec un sourire gouailleur un cocktail bleuté. Il prétendait que ce breuvage avait le pouvoir de transformer son destin. Elle le bu religieusement, puis revint chez elle par les ruelles nocturnes du quartier latin, le cœur emplit d’espoir.
Au réveil du lendemain, comme promis, Mélanie se sentait formidablement bien. Elle s’imaginait que ce sentiment allait s’éterniser, mais je ne suis pas sûr que l’effet placebo allait résister à la suite de l’histoire…
Arrivée dans son open-space, son horrible supérieur la convie à un RDV face-to-face pour lui annoncer, à sa grande surprise, son licenciement pour faute grave imaginaire.
Déboussolée, elle déjeune avec sa talentueuse amie Vitaa pour chercher le réconfort…
Mais cette dernière lui révèle l’infidélité que cultive Augustin depuis deux mois avec Andy, fille de Lombardie.
La pauvre Mélanie tombe de pleurs.
Enfin, pour couronner ces tribulations, son gastro-entérologue l’appelle en fin de journée pour lui diagnostiquer l’ignoble cancer du pancréas : il ne lui reste plus que six mois à vivre.
Elle s’imaginait incarner la Félicita, elle venait de subir la pire journée de toute son existence.
Affolée, dévastée, et en même temps furieuse, Mélanie retourna le soir-même au quartier Mouffetard dans l’antre du Génie pour exiger son remboursement : Hélas, le Maître des lieux s’était éclipsé le jour-même pour des vacances à Nicopolis d’Épire, en Grèce.
Dès l’aube du lendemain, Mélanie réserva d’urgence un vol pour Athènes, puis un billet de bus pour voguer d’Athènes à Nicopolis en longeant les côtes grecques. Ce voyage avait des airs idylliques, mais l’esprit de Mélanie était au plus proche des Tragédies Grecques.
La nuit tombée, elle mit enfin les pieds dans la cité en ruines, avec le génie au centre de la place dans une posture sectaire.
Mélanie ne put s’empêcher de déverser sa colère en le traitant des mots les plus hérétiques.
Voici la réponse facétieuse du magicien :
« Et oui Mélanie, je ne suis qu’un excentrique charlatan. Le vrai Génie du Bonheur se trouve derrière moi… »
Après ces paroles, une silhouette transparente et lumineuse apparut dans le ciel. Face à cet événement paranormal, Mélanie prit peur. Mais, passionnée de philosophie Hellénistique, elle reconnut le fantôme d’Épictète.
Ce dernier déclama cette sentence :
« N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites ; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureuse. »
Après ces mots mystiques, Mélanie senti une lampe s’allumer dans son cerveau.
Un shift irréversible venait de se produire dans son royaume intérieur.
A son retour à Paris, elle décida de ne plus subir les choses qui lui arrivaient, mais de les vivres comme si elles les avait choisies de bon cœur.
Comme si elle avait choisi de se sentir désespérée.
Comme si elle avait choisi la mise au chômage mettant fin au monde hostile des grands groupes.
Comme si elle avait choisi la rupture avec l’hautain Augustin.
Comme si elle avait choisi d’attraper le cancer du pancréas.
Comme si tous ces événements étaient les péripéties d’une tragédie grecque qu’elle avait elle-même écrite et interprétée.
Et à force de mettre en application cette nouvelle attitude dans la vie de tous les jours, une profonde joie vint rapidement irradier son être.
En fin de compte, le Génie du Bonheur avait exaucé son vœu le plus cher.
L’histoire aurait pu se terminer ainsi, mais de nouveaux phénomènes paranormaux se produirent…
Son gastro-entérologue fut radié de l’Ordre des Médecins pour avoir inventé les pires bilans pour ses patients.
Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur, la contacta pour lui proposer le poste de professeure de Philosophie hellénistique à l’Université Paris-Saclay.
Enfin, elle eut le coup de tonnerre – réciproque – pour une poétesse mariée avec les étoiles.
Évidemment, elle décida de vivre ces événements comme si elle les avait choisis de bon cœur.
Comme si c’étaient les péripéties d’un conte du Sivaland qu’elle avait écrite de sa plume.