Les Contes

Le Sort de la Planète

Et si le sort de la planète était entre les mains de ce climatosceptique personnage que j’ai nommé Louis-Philippe Edouard ?

LPE, alias Louis Philippe Edouard, est une jeune cadre dynamique qui travaille pour PetroX, startup licorne qui a pour mission l’exploration et l’exploitation pétrolière du monde et du cosmos.

Il occupe la fonction de consultant Data Agile sur le projet AntarX : il analyse 11h par jour les données géologiques de l’antarctique afin d’y déceler des réserves pétrolières inexploitées.

Durant son temps libre, Louis-Philippe Edouard aime collectionner compulsivement les cravates italiennes en soie, flâner dans des enseignes roses et douteuses de l’Avenue des Champs-Élysées, et participer à des courses automobiles sur les autoroutes franciliennes.

Il ne croit pas au changement climatique. Il aime se définir comme anti-collapsologue, anti-Greta Thumberg et anti-Khmer vert (c’est ainsi qu’il nomme les militants EELV (Europe Ecologie Les Verts (parti politique écologiste français))).

LPE travaille en moyenne 66h par semaine. C’est pourquoi il a décidé de s’octroyer un bon mois de congés pour aller vivre le rêve américain aux US. Au programme, dégustation de burgers consanguins, tournois de pokers addictifs et virées dans des 4×4 texans.

Il a réservé le vol AF66 qui mène de Paris CDG à Los Angeles LAX. 11h49m de vol pour un bilan carbone de 3,28 tonnes de dioxyde de carbone (CO2).

A 11h46 PM, quelques minutes après le décollage, LPE s’octroie une sieste qu’il estime avoir bien mérité.

A son réveil, un évènement paranormal se produit.

L’avion prend de plus en plus d’altitude.

Il s’élève vers l’espace infini…

Il entrevoit dans son hublot une île océanique qui flotte dans le ciel.

C’est merveilleux.

L’aéroplane se pose en douceur sur l’île plate. La piste est entourée d’arbres, de forêts, de fleurs exotiques.

Le ciel est d’une couleur bleu nuit, elle est ornementée d’aurores boréales et d’étoiles magnifiques.

Après sa sortie de l’avion, LPE s’enfonce dans les bois de l’île. Autour de lui, pleins de gens qui respirent la joie d’exister dansent, se marrent, badinent ensemble.

Les arbres sont recouverts de petites lumières en forme de boules de tout coloris.

A travers cette ambiance, il aperçoit au loin une quinquagénaire qui se tient sur le bord de l’île.

LPE pressent une âme magnétique et ne peux s’empêcher d’aller la voir.

Une fois rapproché, il découvre une émotion d’effroi qui se dégage de son visage :

  • Qu’est-ce qui vous préoccupe, demande Louis-Philippe Edouard.

La femme tient à la main un télescope pointé en bas, vers le vide terrestre.

  • Regarde, lui répond-elle.

Que voit-il ? Des parisiens qui peinent à respirer sous un ciel noirci de particules infinies, des buildings New-yorkais qui s’effondrent sous la force d’un ouragan déchaîné, un ours polaire qui pleure sur une banquise morcelée, un renard qui peine à s’échapper d’une forêt de Fontainebleau embrasée, une tortue intoxiquée par des pailles en plastique qui lui sortent du nez.

Vision d’horreur. Louis-Philippe Edouard lâche le télescope comme s’il avait posé ses mains sur une plaque chauffante électrique. Il prend enfin conscience de la gravité de la situation.

Après un moment de silence où LPE tente de digérer ces catastrophes visuelles, la femme reprend la parole d’un ton majestueux :

Je suis la Terre Mère, déesse de la planète.
Depuis quelques siècles, les homo sapiens modernes ont cru que notre Terre était une machine mécanique aux ressources infinies.
Ils ont cru pouvoir l’exploiter sans limite pour soulager leurs obsessions de richesse et de pouvoir.
Mais en vérité, notre planète est un organisme vivant qui souffre, et qui ne va bientôt plus pouvoir endurer la survie de l’humanité.
Louis-Philippe Edouard, c’est à toi que je m’adresse.

Tu travailles pour l’entreprise la plus néfaste pour le monde, et ton empreinte environnentale est colossale.
Mais tu es le héros de cette fiction, et ta mission consiste à sauver notre planète.
Louis-Philippe Edouard, le sort de notre planète est entre tes mains.

LPE n’a même pas le temps de répondre à la Terre Mère que celle-ci le pousse de toutes ses forces hors du bord de l’île.

C’est au moment où il entame la plus longue chute libre de sa vie qu’il se réveille de ce cauchemar éclairé. Il se rend alors compte qu’une autre chute, bien réelle cette fois, est en train de se produire : Le commandant de bord vient d’annoncer une fuite de kérosène sur les 4 moteurs de l’avion et doit atterrir d’urgence à l’aéroport le plus proche – L’aéroport Paris Brest Bretagne BES.

Ce rêve d’après-décollage a bouleversé en profondeur les croyances de LPE. Il profite de l’incident de vol pour renoncer à ses vacances américaines, visiter le port de Brest et lire le septième rapport cataclysmique du GIEC.

Il décide ensuite de randonner sur le GR34 – plus beau GR de France – qui longe toute la côte bretonne.

Ces journées de marche vont lui permettre de méditer sur les avertissements oniriques de la Terre Mère se dit-il.

Sur sa route, il rencontre une personne remarquable bien connue des médias et qui aime se faire appeler le père Janco ou encore JMJ.

Cette randonnée va mettre sur pied d’intenses échanges entre LPE, avide de remettre en cause ses anciennes croyances, et Janco, le sage à la toge verte.

Au Mont-Saint-Michel, fin (ou début) du GR34, ce dernier va même lui offrir le PTEF (Plan de transformation de l’économie française, écrit par le Shift Project), et lui révéler les 10 commandements pour faire fondre son impact nocif sur la planète :

  1. Diminuer ta consommation de viande tu devras.
  2. Déguster des végétaux saisonniers et locaux tu privilégieras.
  3. Ta Rolls Royce SUV Cullinan tu troqueras pour un vélo électrique.
  4. Les voyages en Airbus A380, tu remplaceras par le TGV OUIGO.
  5. Tes épargnes, tu les placera dans La Nef (Banque qui investi nos deniers dans des projets éco-responsables (Aucun placement de produit n’est à prévoir pour cette fiction)).
  6. Ta chaudière au fioul Sibérien, tu la remplaceras par une pompe à chaleur.
  7. Les bouteilles et autres boites en plastique, tu éviteras de consommer et de jeter.
  8. Ton IPhone 6S, tu répareras au lieu d’acheter le nouvel IPhone 17.
  9. Acheter des choses inutiles qui ne te rende pas plus heureux, tu éviteras.
  10. Le piège de la culpabilité qui hante toute personne qui peine à mettre en pratique ces commandements (et qui inhibe toute action), tu contourneras.

A son retour dans son luxueux appartement parisien, LPE profite de ses derniers jours de congé payé pour changer radicalement son mode de vie, et appliquer les commandements de Janco.

Son empreinte carbone individuelle passe de 16,3 à 1,2 tonnes.

Mais très vite, cette pensée sournoise vient envahir l’espace de sa conscience :
« A quoi bon faire des efforts personnels alors les émissions de gaz à effet de serre mondiaux ont augmentés de 67,4% depuis la chute du mur de Berlin (et la naissance de l’auteur de cette fiction), alors que 6524 millions de tonnes de charbon ont été utilisées pour l’année en cours, alors que ton entreprise licorne vient de repérer la plus grosse réserve de pétrole sous l’antarctique pendant tes congés (grâce à tes méta-analyses) ? »

Louis-Philippe Edouard sent l’impuissance et le découragement naitre dans son microbiote.

Il ne veut pas reprendre le travail. Il ne veut plus travailler pour PetroX. D’ailleurs, il ne veut plus rien faire.

Voici son nouveau plan de carrière : Anesthésier son cerveau et chercher refuge dans le sommeil en attendant la fin du monde.

D’ailleurs, c’est lors d’une de ces narcoses nocturne à coup de somnifères que LPE va expérimenter la deuxième expérience paranormale de son existence : La rencontre avec les Reptiliens.

En pleine nuit, il se réveille dans un endroit encore plus étrange que la scène du rite sexoreligieux d’Eye Wide Shut : Il se trouve tout nu sur une plaque de pierre chauffante et ronde qui flotte au dessus de la lave. Les décors ressemblent à une caverne, et la température ambiante frôle la fournaise. Mais le plus flippant dans cette histoire, ce sont les sept hommes à la tête reptilienne, au costard extravagant et à la langue de vipère qui l’encerclent.

Les sept reptiles humanoïdes se mettent à déclamer à l’unisson, et d’une voix terrifiquement grave ce discours :

  • Nous sommes les Reptiliens.
    Certains praticiens de la théorie du complot ont cru en notre existence, mais contrairement à leur croyance, nous ne souhaitons pas vous coloniser.
    Notre but est de protéger l’harmonie de la terre et du cosmos, et nous constatons que bon nombre de vos activités nuisent à cet équilibre.
    Si vous continuez dans cette direction, nous allons devoir vous exterminer.
    Nous sommes ici sous l’Antarctique. Si vos foreuses parviennent jusqu’à nous, alors vous pourrez dire adieu à votre Terre-Mère.
  • Je suis sincèrement désolé, répond louis-Philippe Edouard.
    Je comprends votre logique mais je ne peux vous aider : J’ai beau changer mon comportement, cela n’aura aucun impact sur le monde…
    Je ne suis qu’une pauvre fourmie sans aucune influence.
  • Ignorant ! Une personne célèbre de votre espèce a inventé cette citation : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde (GHANDI) ».
    Si toi, Louis-Philippe Edouard, se met à changer ton comportement, et que tu en parles autour de toi, alors ce boulversement des consciences se propagera encore plus rapidement que la variant Omicron de la Covid19.
    Le changement ne viendra pas des grandes instances politiques, mais avant tout de toi, puis de tes proches, puis des proches de tes proches, puis des proches des proches de tes proches, puis des proches des proches des proches de tes proches, puis des proches des proches des proches des proches des tes proches, puis…

Ces mots hypnotiques importunent de plus en plus le cerveau de LPE jusqu’au moment où il ne peut plus se contenter de les écouter tout nu entre eux.

  • STOOOOOOP ! Crie-t-il.

C’est ce STOP qui va le réveiller de ce rêve, de cette rencontre onirique, de cette léthargie. Le STOP qui va faire fondre les glaciers de sa dépression.

Voici Louis-Philippe Edouard armé d’une nouvelle énergie, de nouveau prêt à participer à la guérison de la planète.

Dans les années qui suivent cette histoire, il va continuer à modifier en profondeur son mode de vie.

Il va transmettre son savoir autour de lui.

Il va quitter PetroX pour créer Carbone 7, une société de conseil pour aider les patrons à décarbonner leurs multinationales.

Il va écrire un conte qui s’appelera « Le sorte de la planète » (Une sorte de plagiat de cette histoire).

Cette histoire va se propager sur LinkedIn, Medium et Insta à une vitesse pandémique.

Peu à peu, de plus en plus de citoyens du monde vont être sensibilisés au Grand Enjeu de ce Siècle. Toutes ces personnes vont même tenter humblement d’adopter un mode de vie plus respectueux de la planète.

Les grands patrons, le CAC70 et les oligarques vont être obligés de faire appel à Carbone 7 pour rester compétitif.

Enfin, les politiciens, les dirigeants et autres Rois de ce monde vont être contraints de réviser leur programme écologique pour être (ré)élu.

Tout ceci nous mène à l’année 2050.

Louis-Philippe Edouard a gagné en barbe, en calvitie et en maturité.

Grâce à son action, les mentalités des peuples ont changés. Et grâce aux peuples, les entreprises et les politiciens ont dû s’adapter.

LPE participe à une fête idyllique dans un endroit qui lui rappelle ce rêve qui avait chamboulé ses croyances : Mêmes arbres, mêmes lumières, même ambiance, mêmes aurores boréales.

Il y a même la quinquagénaire à l’aura magnétique et qui se fait appeler Terre-Mère, sauf que cette fois, celle-ci est bien réelle.

Elle s’approche de lui avec un sourire radieux :

Bravo Louis-Philipe, tu as gagné.

Tu as scellé le sort de la planète.

Elle est sauvée.

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