Le serpent aux mille tourments
C’était une jeune fille qui s’appelait Marguerite et qui aimait la vie. Elle se sentait en harmonie dans son petit village de campagne, et aimer se perdre dans les prairies de la joie et de la simplicité. Ses yeux pétillaient le bonheur, et son cœur était dépourvu de tout soucis.
Un jour, lors d’une balade dans la forêt de l’Éden, Marguerite rencontra un serpent qui pleurait comme un nouveau-né :
– Je me sens seul, je me sens si seul… emmène-moi avec toi et deviens mon amie. En échange je pourrai te guider toute la vie car je me suis glissé dans bien de secrets de ce bas-monde.
La fille éprouvait tant de pitié pour le pauvre reptile qu’elle le posa sur son épaule. Sans le savoir, elle venait de faire un geste qui allait peser lourd sur sa destinée.
Le lendemain, quand Marguerite ouvrit les volets de sa petite maison, elle découvrit des trombes de pluie qui lavaient les routes du village :
– Quelle belle pluie ! Les fleurs du verger vont être contentes.
Le serpent, posé sur son épaule, s’offusqua :
– Tu n’es pas très maline de te réjouir de cette pluie ma petite… Nous sommes au printemps, il devrait faire beau ! Ta journée va être gâchée, tu ne vas pas pouvoir te promener sous peine de tomber malade.
La jeune fille calma son entrain, et se mit même à rouspéter contre la pluie. Elle vola le parapluie de sa mère, et partit chercher du pain à la boulangerie du village. Habituellement, elle saluait avec le cœur tous les paysans qui croisaient son chemin. Mais là, dès qu’elle voyait un être au loin, le reptile lui chuchotait son jugement :
– Oh, regarde ce monsieur comme il est gros. Et tu as vu cette dame ? Elle est bien mal habillée. Et regarde la sale mine du vieil homme… Il ne faut surtout pas dire bonjour à ces péquenauds !
Marguerite buvait les paroles de son nouvel ami, et suivait ses directives à la lettre : ce matin-là, elle n’adressa la parole à aucun villageois.
Elle rentra chez elle et resta toute l’après-midi dans sa chambre, à lire, écrire, flâner. C’était une fille qui aimait beaucoup prendre rendez-vous avec elle-même, mais cette habitude rendait fou de rage la vipère :
– Mais voyons ma petite comment fais-tu pour te complaire dans cette solitude… Tu ne peux pas être heureuse telle que tu es maintenant… tu ne pourras l’être que dans un futur lointain. Il faut à tout prix que tu partes en quête du Prince Charmant !
Empoisonnée par les paroles du serpent, Marguerite quitta le village le lendemain à l’aube pour voguer vers la Grande Ville, en quête du Bien-Aimé.
Des jours, des semaines, des mois s’écoulèrent, et, au cœur de cette chasse à l’âme sœur, la jeune fille eu le coup de foudre pour un jeune poète bien étrange qui remerciait tous les soirs les étoiles…
Mais hélas pour elle, le reptile l’avait suivi dans toutes ses aventures :
– Mais voyons ma petite, sois raisonnable : tu ne peux pas tenir la main de ce garçon… Tu n’es pas à la hauteur de cette idylle, tu n’es pas assez inspirée pour être sa muse. Je ne veux plus que tu le côtoies et que tu lui causes. Si tu vois une lettre à son nom, déchire-là en mille morceaux.
Après ces sentences, Marguerite s’enferma dans une profonde tristesse. Elle brûlait d’un amour qui lui était impossible. Les larmes du chagrin et de la détresse envahirent son quotidien, et évidemment, le serpent avait son mot à dire :
– Tu ne devrais surtout pas pleurer comme ça ma petite ! Personne n’aime les filles qui sont tristes. D’ailleurs, les plus mélancoliques sont rejetées du Royaume et abandonnées de tous pour l’éternité.
Marguerite avait maintenant peur de ses sentiments. Elle était triste d’être triste, et les crevasses de son cœur en étaient plus douloureuses. Voici les sombres pensées qui traversaient son esprit :
– Je ne mérites pas d’exister sur cette terre. Personne ne peut m’aimer. Je suis condamnée à m’exiler au dépôt de l’abandon…
Alors elle prit le train le plus morbide pour retrouver, au bout de la ligne, l’endroit qui réuni depuis toujours les désespérés de la vie.
Elle y erra pendant un temps qui semblait aussi long qu’un siècle. Elle prit du recul sur sa vie passée, sur les vieux moments où elle respirait le bonheur dans sa campagne. Et à force de ressasser ses souvenirs, elle eut un éclair de conscience : tout ses malheurs commencèrent le jour où elle adopta le serpent aux milles tourments. Alors elle l’observa et le caressa comme si c’était la toute première fois, avec les yeux et les mains fraîches de la lucidité.
Et quel fut son étonnement quand elle découvrit la vérité qui lui était cachée depuis toutes ces années : le reptile posé sur son épaules, qui hantaient ses jours et ses nuits, n’était rien d’autre qu’un serpent en plastique !
Et vous savez quoi ? Il paraît qu’au Royaume du Sivaland, les serpents en plastiques aiment parler de tout et de rien, sauf de la vérité…
Alors Marguerite se redressa, et quitta à jamais le dépôt de l’abandon. Elle retourna dans la Grande Ville pour retrouver l’étrange poète qui remerciait les étoiles. Elle l’emmena dans son petit village de campagne, et se firent des baisers sur les prairies de la joie et de la simplicité jusqu’au lever du jour d’après.
Le serpent en plastique, quant à lui, n’avait pas bougé de l’épaule de la jeune fille. Il lui disait toujours les mêmes bêtises, mais les deux tourtereaux en rigolaient comme s’ils étaient face à un spectacle de clowns.
Et toi lecteur, je sais ce que tu te demandes : d’où vient tout ce venin à paroles qui ressemble fort à ce que disent nos pensées à longueur de journée ?
Une vieille légende du Sivaland dit que les serpents en plastique tentent de rendre les êtres malheureux pour venger la planète de les avoir construit avec le sang noir du pétrole.
Est-ce vrai ? Aucune idée… Tout ce que je sais, c’est que les yeux de Marguerite pétillent de nouveau le bonheur.