Les Contes

La cape de la joie

Il fut une fois, dans un pays exotique et lointain, une personne prénommée Aristide. Il avait le privilège d’habiter la plus belle et la plus prospère cité de la région : la Grande Ville.

On aurait pu croire qu’il occupait ses jours et ses saisons à flâner au musée de la Fortune, à jouer du piccolo au sein de l’orchestre de la Prospérité, ou encore à chanter les chansons d’Aristide Bruant.

Il n’en était rien.

Pioche à la main, sueurs au front, crasse aux doigts, Aristide sacrifiait ses journées à tailler de l’or pour ériger une statue à l’effigie du Grand Roi. Ils étaient des milliers à travailler ainsi treize heures par jour, treize jours par semaine, dans l’espoir d’avoir gain de la cape de la Joie, cape offrant joie intense, parfaite et éternelle à son possesseur. Le Grand Roi avait promis qu’à l’issue de l’inauguration de la statue, il offrirait cette cape au travailleur le plus méritant et le plus courageux de tous.

Aristide désirait plus que tout hériter de cette cape. Il souhaitait tant être admiré de toutes à travers cette cape qu’il baignait dans la crainte de ne pas travailler suffisamment. Il espérait tant goûter aux fruits de la joie et de la félicité qu’il n’en dormait plus la nuit.

Un soir, alors qu’Aristide rentrait d’une longue journée de travail exténuante, il se fit interpeller par un vieux mendiant assis au bord de la rue du labeur :

 » Pourquoi sacrifies-tu ton temps, ton énergie, et ta joie avec cette statue ? Tu crois vraiment que tu vas devenir le travailleur le plus méritant avec ta carrure ridicule et ton esprit un peu trop chétif ? Tu ferais mieux de quitter ton travail et d’aller à la rencontre du Grand Sage résidant là haut dans les Grandes Montagnes. Lui-seul aura la bonté et la générosité de t’offrir la cape de la Joie, et ce gratuitement. « 

Aristide rentra chez lui sans dire un mot. Il réfléchit toute la nuit, et décida dès l’aube de troquer sa pioche contre un sac de randonnée. Il partit à la quête du Grand Sage et de sa cape tant convoitée.

Il dût traverser l’éprouvant désert des Illusions, les dangereuses forêts de la Peur et le majestueux mont de l’Espoir pour parvenir devant un temple merveilleux, situé au cœur des nuages. A l’intérieur un vieux monsieur assis sur un trône, les yeux fermés, mille et une rides, et une longue barbe :
– Ô mon vénérable, pouvez-vous me faire don de votre générosité, de votre bonté, et de votre cape de la Joie ? Demanda Aristide.
– Pauvre mortel, vous êtes bien naïf. Voilà bien longtemps que j’ai donné cette cape aux artisans qui fabriquent des masques. Ce bout de tissu n’a eu aucun effet sur mes capacités à ressentir un quelconque bonheur.

Après ces mots d’embouchure divine, Aristide fondit en larmes.

Pauvre Aristide… toute sa vie il avait espéré atteindre la félicité, joie intense, parfaite et éternelle. Jamais il ne la connaitrait.

Il rentra chez lui en descendant le funèbre mont du Désespoir, en traversant les lugubres forêts de la Tristesse, et le sinistre désert des Désillusions.

De retour dans sa modeste demeure, en revoyant sa pioche, il eut une vision. Il prit conscience que jamais il ne s’en resservirait. Il n’avait plus le besoin affamé de travailler, au grand malheur du Roi et de sa statue. Alors il revit sa Todolist, et allât flâner au musée du Plaisir, jouer du trombone au sein de la fanfare du Bonheur, et chanter son sourire à travers ses propres chansons (Si seulement il avait su qu’un siècle plus tard il serait perçu comme une icône de la chanson française).

Il put même retrouver son amour d’enfance qu’il avait quitté pour cette statue dorée.

Il semblait qu’Aristide avait, à travers cette cape, sacrifié son temps à espérer les fruits du plaisir, de la joie et du bonheur alors qu’il suffisait d’y renoncer pour pouvoir les déguster.

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