Le joueur d’ocarina
C’est l’histoire d’un joueur d’ocarina qui désirait plus que tout gagner la gloire.
Amphithéâtre rempli à ras bord, foule hystérique, statue personnelle au panthéon des hommes vénérables, voici les fantasmes qui hantaient le cœur du bohème.
Il travaillait ses gammes et ses arpèges tout le long de la journée auprès d’un maitre à chanter. Mais un matin, il se sentit fin prêt à affronter le monde du spectacle, avec ses espoirs, ses obstacles, et ses mystères. Il abandonna son bourg, sa famille, ses dictées mélodiques pour la route de la capitale.
Perdu par sa jeunesse, il rumina sur les différentes mélodies susceptibles d’enchanter le cœur du peuple. Il implora l’avis de François Citron, président de la capitale :
« Exécuter toute hymne composée à mon effigie, voila la clé pour conserver l’esprit du peuple ainsi que notre sacro-sainte tradition. »
Le musicien joua ces mélodies solennelles sur la place de la Victoire. Quelques centenaires vinrent l’acclamer.
Ils n’étaient que cinq.
Infortune.
Attristé par ce flop mais déterminé à en découdre, il rendit visite au Clown de la cité, personnalité préférée de la génération Z :
« Interpréter tout générique introduisant mes spectacles, voici le secret pour créer joie, rires et applaudissements auprès de mon public. »
Le joueur d’ocarina se plaça alors au milieu du chapiteau, et siffla des airs syncopés, sautillants et festifs. Quelques petites bouilles vinrent se déchainer autour de ce cirque.
Ils n’étaient que quatre.
Fiasco.
Fou de rage, il quitta le chapiteau sans dire un mot et se dirigea vers les laboratoires perdus de la métropole. Un SSTM (Scientifique Spécialisé dans les Tendances Musicales) l’attendait :
« Produire des sons inouïs et atonaux encore inconnus sur le spectre sonore, voici l’invention qui pourrait vous faire remporter le prix Nobel. »
L’artiste se plaça à l’entrée de la bibliothèque François Citron, et interpréta les mélodies les plus dissonantes de sa carrière. Quelques érudits vinrent l’analyser.
Ils n’étaient que trois.
Échec.
Dépité, le pauvre musicien pris le chemin du retour et se jura d’enterrer son ocarina.
Dans son malheur, un souvenir remonta à sa conscience. C’étaient les paroles de son maitre à chanter, il y a bien longtemps :
« Quelque soient les saisons, les marées, les tempêtes assure-toi de ne jouer que des mélodies qui proviennent tout droit de ton cœur. »
A ce moment, une rivière coupant le chemin apparut à ses yeux. Il se posa, sortit son ocarina et joua les mélodies les plus belles et émouvantes qu’il n’avait jamais joué et que les oiseaux n’avaient jamais entendu.
Des érudits, des enfants, des centenaires vinrent fondre devant cet instant de beauté. Ils étaient des dizaines, mais non, des centaines, que dis-je, des milliers !
Il semble que le joueur d’ocarina avait enfin gagné la gloire qu’il désirait tant.
Mais que vaut la gloire face au plaisir de jouer et d’écouter des mélodies qui proviennent tout droit du cœur ?
Délibérez en silence. Le conte, lui, a déjà choisi.